64
Le croiseur de la marine américaine Anzio, se dirigea vers le nord à partir de sa base au large des Émirats arabes unis, à cent cinquante kilomètres à l’intérieur du détroit d’Ormuz, et se dirigea vers la médiane du golfe Persique. Bien que loin d’être le plus grand navire du golfe, le croiseur Aegis de classe Ticonde-roga était sans doute le plus meurtrier. Grâce à son radar tridimensionnel abrité sous la passerelle, le navire était capable de détecter une embarcation ennemie sur terre, mer ou air dans un rayon de trois cent vingt kilomètres. En poussant un simple bouton, on pouvait lancer l’un des cent vingt et un missiles Tomahawk ou Standard du système lance-missiles vertical qui se trouvait dans l’entrepont, afin de neutraliser la cible en quelques secondes.
Cet arsenal de haute technologie était dirigé depuis le Centre d’information de combat, une salle de contrôle obscure dans les profondeurs du navire. Dans la pénombre bleutée, le capitaine Robert Buns scrutait l’un des grands écrans de projection sur le mur. Les eaux environnantes du golfe s’y affichaient en de multiples couleurs, sur lesquelles apparaissaient diverses formes et symboles géométriques qui dansaient au ralenti. Chaque symbole représentait un navire ou un avion repéré par le système radar. L’un d’eux, un point rouge clignotant, se dirigeait vers le détroit d’Ormuz de gauche à droite en croisant la trajectoire du navire.
— Vingt kilomètres jusqu’à interception, monsieur ! rapporta un marin, l’un des nombreux experts en électronique assis aux postes de travail de cette salle.
— On continue sur le même rythme, répondit Buns.
Officier sérieux, mais spirituel, très admiré par ses hommes, Buns avait apprécié sa mission. Bien que sa femme et ses deux enfants lui manquent, il trouvait ces missions dans le Golfe motivantes, pimentées par d’occasionnels dangers.
— Nous allons pénétrer dans les eaux iraniennes dans cinq kilomètres, l’avertit un jeune analyste tactique qui se trouvait à ses côtés. Il se dirige manifestement vers la côte iranienne pour nous échapper.
— Après ce qui s’est passé à Kharg, je ne suis pas sûr que les Iraniens soient d’accord pour protéger ces types, répondit Buns. Pat, je crois que je vais regarder le spectacle depuis la passerelle. Je vous laisse le Centre.
— Bien, capitaine. Nous serons connectés, au cas où.
Buns ressortit du centre de commandement obscur et monta sur la passerelle, qui était baignée par un soleil vif qui se reflétait sur les eaux du golfe. Un officier aux cheveux bruns se tenait près de la barre, une paire de jumelles devant les yeux et il observait un navire noir devant eux.
— Est-ce notre cible, commandant ? demanda le capitaine.
Le commandant Brad Knight, officier de renseignement en charge des opérations, hocha la tête.
— Oui, monsieur, c’est notre navire de forage. La reconnaissance aérienne a confirmé qu’il s’agissait bien du Bayan Star, en provenance de Kuala Lumpur.
Le même navire que nos satellites ont observé à Ras Tannura et Kharg avant les séismes.
Knight baissa les yeux sur le pont avant du croiseur, pour regarder le contingent de Marines en tenue d’assaut, qui préparaient deux Zodiac.
— L’équipe semble prête, monsieur.
— Bon, eh bien voyons si le Bayan Star veut entrer dans la danse.
Buns s’approcha d’un officier radio et donna un ordre. Le croiseur se mit à interpeller le navire de forage, d’abord en anglais, puis en arabe, ordonnant au navire de s’arrêter pour une inspection. Celui-ci ignora les appels dans les deux langues.
— Aucun changement de vitesse, rapporta l’opérateur radar.
— Je n’arrive pas à croire qu’ils ne prennent pas au sérieux ces Hornet, dit Knight.
Deux F-18 du porte-avions Ronald Reagan traquaient en effet le navire depuis une heure, vrombissant constamment derrière lui.
— Je crois qu’il va falloir y aller à l’ancienne et leur tirer dessus par le travers, dit Buns.
Le croiseur possédait deux mitrailleuses de dix centimètres, capables de tirer un tel coup, et plus encore.
Le croiseur se trouvait à trois kilomètres du navire de forage lorsque le radio s’écria :
— Il ralentit, monsieur !
Buns se pencha pour regarder l’écran radar et vit le clignotement du navire cesser sa course vers le sud-ouest.
— Amenez-nous à côté. Préparez-vous à aborder.
Le croiseur gris élancé tourna vers le nord-est, stationnant à la hauteur du navire de forage, en ne laissant que huit cents mètres entre les deux. Les Marines embarquèrent rapidement dans les Zodiac que l’on mit à l’eau. Alors qu’ils se dirigeaient au moteur vers le Bayan Star, Knight alerta soudain Buns.
— Capitaine, je vois deux canots dans l’eau à la poupe de l’ennemi. Je crois qu’ils abandonnent leur navire.
Buns prit une paire de jumelles et observa la scène. Deux canots de sauvetage remplis d’hommes en treillis militaires noirs s’écartaient du navire. Il fit pivoter ses jumelles juste à temps pour apercevoir des nuages de fumée blanche s’élever des ponts inférieurs.
— Ils veulent se saborder. Rappelez les hommes.
À la surprise de l’équipage de VAnzio, le navire de forage se mit à s’enfoncer doucement dans l’eau. En quelques minutes à peine, les eaux salées du golfe Persique avaient recouvert la proue. Tandis qu’elle sombrait, la poupe remonta en l’air, jusqu’à ce que le navire inondé glisse rapidement vers le fond d’un seul coup.
Knight secoua la tête en regardant le sillage de bulles et d’écume se dissiper au-dessus du tombeau du navire.
— Ils ne vont pas être contents, au Pentagone. Ils voulaient à tout prix qu’on le capture intact. Les services de renseignement étaient très curieux à propos d’une certaine technologie qui se trouvait à bord.
— Nous avons toujours l’équipage, dit Buns en désignant les deux canots qui se dirigeaient de leur plein gré vers le croiseur. Et le Pentagone pourra toujours récupérer le navire ; il est juste à cent mètres de fond, en plein dans les eaux territoriales iraniennes, ajouta-t-il avec un sourire.
65
Une fraîche brise balayait le bas du mont Burkhan Khaldun, faisant claquer au vent la multitude de drapeaux mongols bleu et rouge qui flottaient haut dans le ciel. Le plus grand, une gigantesque bannière de quinze mètres de large, surmontait un grand mausolée en granit dont la façade avait été achevée en hâte par des artisans locaux quelques jours plus tôt. Le mausolée vide était entouré par une foule de dignitaires, VIP et journalistes, qui discutaient tranquillement entre eux en attendant l’arrivée du futur occupant des lieux.
Un murmure d’excitation parcourut la foule, puis tout redevint silencieux lorsqu’on entendit un bruit de défilé. Une compagnie de soldats de l’armée mongole apparut à travers les pins, gravissant une faible pente pour se diriger vers l’assemblée qui attendait. Ils étaient les premiers d’une longue procession de soldats de la garde d’honneur militaire à escorter les restes de Gengis Khan à sa dernière demeure.
Gengis était en train de mener un siège près de Yinchuan dans le nord-ouest de la Chine, lorsqu’il était tombé de cheval. Il était mort de ses blessures quelques jours plus tard. Un cortège funéraire secret avait alors ramené son corps en Mongolie pour l’enterrer sur les pentes de Burkhan Khaldun en 1227, mais l’histoire n’a pas retenu les détails du cortège. Désirant maintenir ses ennemis dans l’ignorance de sa mort, et garder secret pour toute l’éternité le lieu de sa sépulture, ses camarades guerriers avaient sans doute accompagné son cercueil en une procession banale, peut-être même clandestine avant de l’enterrer dans un lieu non répertorié. Près de huit siècles plus tard, il n’y avait plus rien de clandestin dans ses secondes funérailles.
Le corps du guerrier mongol avait été exposé en grande pompe à Oulan-Bator depuis une semaine, attirant plus de deux millions de visiteurs, plus des deux tiers de la population du pays, ce qui était incroyable. Des pèlerinages de tous les coins du pays furent entrepris par des milliers de gens souhaitant apercevoir le cercueil. Une procession funéraire de trois jours jusqu’au site de sa sépulture attira un nombre tout aussi impressionnant de compatriotes, qui se tenaient sur le bord de la route en agitant des drapeaux et des portraits de l’ancien conquérant. Femmes et enfants agitaient la main et pleuraient sur le passage du cortège, comme s’il s’agissait d’un membre de leur famille qui venait juste de mourir. Un jour de deuil national, qui deviendrait un jour férié dédié au souvenir, marqua la troisième étape de la procession. Ce jour-là, la caravane grimpa une route improvisée jusqu’à un endroit paisible près du pied de Burkhan Khaldun où l’on dit qu’est né l’ancien seigneur de la guerre.
Pitt, Giordino et Gunn, flanqués de Wofford et Theresa, étaient assis avec la première rangée de dignitaires, non loin du président mongol et des dirigeants du Parlement. Alors que le cortège approchait, Pitt se retourna et fit un clin d’œil à un jeune garçon assis derrière lui. Noyon et ses parents, les invités de Pitt, contemplaient la cérémonie avec admiration et les yeux du garçon s’agrandirent à l’arrivée du cercueil du Khan.
Dans une splendeur digne du plus grand conquérant que le monde ait connu, la dépouille de Gengis Khan était portée sur un gigantesque brancard peint en jaune vif. Un attelage magnifique de huit étalons blancs comme neige tiraient la voiture et semblaient même poser leurs sabots sur le sol à l’unisson. Sur le brancard se trouvait le sarcophage de granit sauvé des eaux par Pitt, et à présent recouvert de fleurs fraîches de lotus.
Un groupe de vieux lamas portant des robes rouges et des bonnets jaunes prirent lentement position devant le tombeau. Plus loin, deux moines soufflèrent dans leurs radongs, ces énormes trompes télescopiques qui émirent un bourdonnement grave entendu dans toute la vallée. Alors que l’écho s’envolait dans la brise, les lamas se mirent à réciter de longues prières funéraires, accompagnés par des tambours, tambourins, tandis que brûlait de l’encens. Ensuite, les lamas se mirent discrètement sur le côté tandis qu’un chaman prenait la place centrale. L’époque de Gengis Khan était très mystique et le chamanisme jouait un rôle important dans la vie nomade. Le chaman grisonnant, qui avait une longue barbe et portait des peaux de caribou, dansa et chanta autour d’un large feu contenant des os de mouton. Avec un gémissement aigu, il bénit les restes du Khan, leur enjoignant, depuis le pays du ciel bleu, de continuer leur conquête dans l’au-delà.
Enfin, on installa le sarcophage dans le mausolée, qui fut scellé à l’aide d’une grue par un bloc de pierre polie de six tonnes. Les spectateurs jureraient tous ensuite avoir entendu un coup de tonnerre au loin, au moment exact où la tombe avait été scellée, alors même qu’il n’y avait pas un nuage dans le ciel. Gengis Khan avait de nouveau trouvé le repos dans ses montagnes natales, et son tombeau resterait à jamais une Mecque culturelle pour les touristes, les historiens et tous les habitants de Mongolie.
Tandis que la foule commençait à se disperser, Ivan Corsov et Alexander Sarghov approchèrent du rang de derrière, où ils étaient en compagnie de l’ambassadeur de Russie.
— Je vois que vous êtes doués pour dénicher les trésors historiques sur terre comme en mer, fit Sarghov en riant et en donnant une accolade amicale à Pitt et Giordino.
— C’était simplement un bonus alors que nous cherchions pourquoi quelqu’un avait essayé de couler le Vereshchagin, répondit Pitt.
— Certes. D’ailleurs, nous avons toujours notre projet de recherches à achever sur le lac Baïkal. Le Vereshchagin sera réparé et prêt à repartir la saison prochaine. J’espère que vous nous accompagnerez tous les deux.
— Nous serons là, Alexander.
— À condition qu’il n’y ait pas de vague de seiche, ajouta Giordino.
Corsov se joignit au trio, avec son habituel sourire jusqu’aux oreilles.
— Voilà une démonstration impressionnante de mission incognito, mes amis, dit-il. Vous devriez intégrer le service fédéral de sécurité de Russie, nous avons besoin d’hommes de votre talent.
— Je crois que mon patron ne serait pas trop d’accord, fit Pitt en riant.
Le président mongol s’approcha, entouré de quelques conseillers. Sarghov prit congé et Pitt observa Corsov se fondre dans la foule excitée. Le président, un homme petit et élégant de quarante-cinq ans, s’exprimait parfaitement dans leur langue.
— M. Pitt, au nom du peuple mongol, je souhaite vous remercier, ainsi que la NUMA, d’avoir sauvé Gengis pour la postérité.
— Un géant de l’Histoire mérite de vivre pour toujours, répondit Pitt en hochant la tête vers le mausolée.
Bien qu’il soit regrettable que toutes les richesses du tombeau aient été perdues.
— En effet, c’est une tragédie que les trésors de Gengis aient été dispersés chez des collectionneurs du monde entier uniquement pour remplir les poches de Borjin et ses frères et sœur. Peut-être notre pays sera-t-il en mesure de racheter quelques-unes des antiquités grâce à nos tout nouveaux revenus pétroliers. Bien sûr, les archéologues vous diront qu’un trésor encore plus important se trouve enterré aux côtés de Koubilaï Khan, dont Borjin n’a pas réussi à trouver le tombeau. Au moins Koubilaï et son trésor résident-ils toujours paisiblement en Mongolie, enterrés quelque part sous ces collines.
— Koubilaï Khan, murmura Pitt en observant le mausolée de Gengis.
Sur la façade de granit, il remarqua une gravure de loup solitaire, dont la silhouette était peinte en bleu.
— Oui, c’est la légende. M. Pitt, je voulais également vous remercier personnellement d’avoir mis au jour les activités corrompues de la famille Borjin et de nous avoir aidés à mettre un terme à leurs crimes. J’ai mis en œuvre une enquête au sein de mon propre gouvernement afin de déterminer l’étendue de leur influence. Les conséquences de leurs actions seront enterrées avec Borjin, j’en prends l’engagement.
— J’espère que Tatiana a accepté de coopérer en tant que témoin.
— Assurément, fit le président avec un sourire furtif.
Il savait que Tatiana était détenue dans une prison assez inconfortable.
— Avec son aide, et l’assistance de vos amis experts en pétrole, dit-il en désignant Theresa et Wofford, nous allons être en mesure d’exploiter les réserves de pétrole pour le bien d’une nouvelle Mongolie.
— La Chine ne va pas annuler son accord sur la rétrocession de la Mongolie-Intérieure ? demanda Gunn.
— Ce serait trop dangereux pour eux politiquement, à la fois d’un point de vue international et aussi à l’intérieur des territoires, où les habitants sont majoritairement favorables à la sécession avec la Chine. Non, les Chinois seront déjà contents que nous ayons accepté de leur vendre le pétrole à un prix intéressant. Enfin, au moins jusqu’à ce que notre oléoduc en direction du port russe de Nahodka soit achevé, ajouta le président avec un sourire et un signe de la main en direction de l’ambassadeur russe qui bavardait avec Sarghov à quelques mètres.
— Assurez-vous seulement que les revenus du pétrole aillent aux gens qui en ont le plus besoin.
— Tout à fait. Nous allons nous inspirer de ce que vous faites en Alaska. Une fraction des revenus sera redistribuée à chaque homme, chaque femme et chaque enfant du pays. Le reste soutiendra l’expansion du système public de santé, d’éducation et des infrastructures. Borjin nous a montré ce qu’il fallait éviter : pas un centime de cet argent n’ira entre les mains d’un individu privé, je peux vous l’assurer.
— C’est bon à savoir. Monsieur le président, j’ai une faveur à vous demander... Nous avons découvert un avion accidenté dans le désert de Gobi.
— Mon directeur des musées m’en a déjà informé. Nous allons envoyer une équipe de recherche de l’Université nationale de Mongolie immédiatement afin de procéder aux fouilles de l’avion. Les dépouilles seront rapatriées pour être décemment enterrées.
— Ils le méritent.
— C’était un plaisir, M. Pitt, dit le président alors qu’un assistant le tirait par la manche.
Il tourna les talons et s’éloigna, puis s’arrêta brusquement.
— J’ai failli oublier. Un cadeau pour vous de la part du peuple mongol. J’ai entendu dire que vous aviez un certain goût pour ces objets.
Il tendit la main vers le bas de la colline où se trouvait un grand semi-remorque à plateau qui avait suivi discrètement la procession sur le flanc de la montagne. Un gros objet couvert se trouvait sur le plateau. Alors que Pitt et les autres regardaient avec curiosité, deux ouvriers montèrent et ôtèrent la bâche. Au-dessous se trouvait la Rolls-Royce poussiéreuse de la propriété de Borjin.
— Voilà un beau travail de restauration pour occuper vos week-ends, fit Wofford en voyant la voiture délabrée.
— C’est ma femme Loren qui va être contente, dit Pitt avec un sourire narquois.
— J’aimerais bien faire sa connaissance à l’occasion, dit Theresa.
— La prochaine fois que vous serez à Washington. Quoique, si j’ai bien compris, vous avez encore du travail en Mongolie.
— L’entreprise nous a donné trois semaines de congés payés pour récupérer de cette épreuve. Nous espérons pouvoir rentrer nous reposer, et ensuite, Jim et moi reviendrons travailler ici.
D’après le regard qu’elle adressait à Giordino et le ton de sa voix, il était clair que le « nous » ne faisait pas référence à Wofford.
— Oserais-je vous demander si vous pourriez prendre sur vous pour soigner un vieux loup de mer enragé comme Al pendant ce temps ?
— En fait, c’était prévu, dit-elle avec coquetterie.
Giordino, appuyé sur une béquille, le tibia lourdement bandé, eut un large sourire.
— Merci, patron. J’ai toujours voulu voir le Zuiderzee.
Une fois qu’il eut pris congé de ses amis, Pitt descendit la colline vers le semi-remorque. Gunn le rejoignit alors qu’il arrivait près de la vieille Rolls.
— Le ministre de l’Énergie mongol vient de me dire que le prix du baril de pétrole avait encore baissé de dix dollars aujourd’hui, dit-il. Les marchés ont enfin intégré le fait qu’Avarga a été mise définitivement hors d’état de nuire et que c’en est fini des tremblements de terre destructeurs. Entre cela et les nouvelles réserves découvertes en Mongolie-Intérieure, les experts prédisent que le cours va bientôt baisser à un niveau inférieur à ce qu’il était avant le premier séisme du Golfe.
— Ainsi la crise pétrolière s’est calmée et la récession globale a été évitée. Espérons que les puissances économiques auront tiré les leçons et se concentreront plutôt sérieusement sur les énergies renouvelables.
— Elles ne le feront qu’une fois vraiment au pied du mur, dit Gunn. Tiens, au fait, j’ai appris que le Pentagone n’était pas ravi que les trois appareils de von Wachter aient été complètement détruits après que le dernier a coulé au fond du golfe.
— La NUMA n’est pas responsable.
— Certes. C’était un coup de chance que Summer et Dirk soient tombés sur le frère de Borjin et le deuxième appareil à Hawaï. Ou plutôt qu’il soit tombé sur eux. Si le navire était parti vers Valdez et avait endommagé l’oléoduc trans-Alaska, cela aurait été le chaos le plus total.
— C’est à cause de l’épave chinoise que Summer a découverte. Il y a bien une raison pour laquelle elle les intéressait, dit Pitt.
Un air songeur se peignit sur ses traits alors qu’il réfléchissait aux différents indices. Puis ses yeux verts pétillèrent de satisfaction.
Gunn ne se préoccupait pas de ce mystère, mais des exigences immédiates du gouvernement.
— Non seulement tous les appareils sismiques ont été détruits, mais également tous les travaux de von Wachter. Apparemment, Borjin avait toutes les données du professeur dans le laboratoire, qui n’est plus qu’un tas de cendres. Plus personne ne sera en mesure de faire revivre cette technologie.
— Tu trouves que c’est une mauvaise chose ?
— Je pense que non. Pourtant, je me sentirais mieux si je savais que cette technologie se trouve entre nos mains et non celles des semblables de Borjin.
— Juste entre toi et moi, et la voiture, il se trouve que je sais que le manuel d’utilisation que tu as subtilisé dans le labo a survécu à l’inondation et à l’incendie.
— Le manuel a survécu ? Il rendrait un fier service à quiconque voudrait dupliquer la machine de von Wachter. J’espère qu’il est en sécurité.
— Il a trouvé sa résidence permanente.
— Tu en es sûr ? demanda Gunn.
Pitt se dirigea vers l’arrière de la Rolls et ouvrit un grand coffre en cuir monté sur le porte-bagages de la voiture. Au fond se trouvait le manuel d’utilisation de l’appareil sismique acoustique, avec le manche de la flèche qui dépassait encore de la couverture. Gunn émit un petit sifflement, puis il mit les mains sur les yeux et se détourna.
— Je n’ai rien vu, dit-il.
Pitt verrouilla le coffre puis il inspecta rapidement tranquillement le reste de la voiture. Au-dessus d’eux, les nuages gris sombres arrivaient rapidement depuis l’ouest. Les participants restant près de la tombe se dirigèrent rapidement vers leurs véhicules garés au-dessous pour échapper au déluge imminent.
— Je crois qu’on ferait bien d’y aller, dit Gunn en entraînant Pitt vers leur Jeep de location au bas de la colline. Donc on rentre à Washington ?
Pitt s’arrêta et contempla le mausolée de Gengis Khan une dernière fois. Puis il secoua la tête.
— Non, Rudi, vas-y, toi. Je te rejoindrai dans quelques jours.
— Tu restes ici encore un peu ?
— Non, répondit Pitt avec une étincelle lointaine dans le regard. Je vais chasser un loup.
66
Le soleil des tropiques brûlait le pont du Mariana Explorer qui contournait le doigt en roche basaltique de la pointe de Kahakahakea. Le capitaine, Bill Stenseth, fit ralentir le navire de la NUMA lorsqu’il entra dans l’anse de la baie de Keliuli, qui lui était désormais familière. Devant lui, à bâbord, il remarqua une bouée de signalisation rouge qui flottait à la surface. À vingt et un mètres en dessous reposaient les décombres enchevêtrés du navire de forage d’Avarga, partiellement ensevelis sous des morceaux de roches de lave. La profondeur diminuant, Stenseth n’emmena pas plus loin le navire de recherche ; il coupa les moteurs et jeta l’ancre.
— Baie de Keliuli ! annonça-t-il en se tournant vers l’arrière de la passerelle.
Assis à une table des cartes en acajou, Pitt examinait une carte de la côte d’Hawaï avec une loupe. Sous la carte, se trouvait la peau de guépard déroulée qu’il avait retrouvée dans le Fokker de Leigh Hunt dans le désert de Gobi. Ses enfants, Dirk et Summer, se tenaient derrière lui et regardaient par-dessus son épaule avec curiosité.
— Alors comme ça, voici les lieux du crime, lança Pitt père en se levant de table pour regarder par la fenêtre.
Il s’étira avec un bâillement, fatigué par son vol d’Oulan-Bator à Honolulu, via Irkoutsk et Tokyo. L’air chaud et humide lui semblait agréable sur la peau après le coup de froid de fin d’été en Mongolie ; il avait même eu des flocons de neige au moment d’embarquer dans l’avion.
Le retour de Pitt à Hawaï s’était fait dans une certaine mélancolie. Ayant trois heures d’attente avant le vol intérieur pour Hilo, il avait loué une voiture et traversé les monts Koolau jusqu’à la rive est de Oahu. Arrêté sur le bord d’une petite route proche de la plage de Kailua, il s’était promené dans un minuscule cimetière qui surplombait l’océan. C’était un petit espace de verdure bien entretenu, entouré par une végétation luxuriante. Pitt avait parcouru méthodiquement le cimetière et examiné les pierres assorties. Sous les branches ombreuses d’un frangipanier en fleurs, il avait trouvé la tombe de Summer Moran.
Son premier amour, le plus marquant, la mère de ses deux enfants, était décédée récemment. Pitt la croyait morte depuis des décennies, ignorant que Summer Moran vivait en recluse après un accident qui l’avait défigurée. Il avait passé des années à essayer d’effacer son souvenir de son cœur et de son esprit, jusqu’au jour où ses deux enfants étaient arrivés sur le seuil de sa porte. Un flot d’émotions l’avait alors assailli de nouveau, et il s’était demandé douloureusement ce qu’aurait été son existence, s’il avait su qu’elle était en vie et qu’elle élevait leurs jumeaux. Il avait tissé des liens étroits avec ses enfants aujourd’hui et il était aimé de sa femme Loren. Mais le sentiment de gâchis, demeurait, teinté de colère pour le fait d’avoir perdu le temps qu’il aurait pu passer avec elle.
Le cœur lourd, il cueillit une poignée de bourgeons parfumés de frangipanier et les répandit doucement sur la tombe. Pendant un long moment, il resta debout, nostalgique, à côté d’elle, à regarder l’océan. Les douces vagues de son autre amour, l’océan, l’aidèrent à atténuer la peine qu’il ressentait. Il sortit finalement du cimetière épuisé et vidé, mais avec un sentiment d’espoir.
À présent, debout sur le pont en compagnie de ses deux enfants, il éprouvait un certain bonheur à sentir qu’une partie de Summer avait survécu. Son esprit d’aventurier requinqué, il put se concentrer de nouveau sur la mystérieuse épave chinoise.
— La bouée de signalisation indique l’endroit où Summer a coulé le navire de forage, dit Dirk en souriant et en tendant la main. L’épave chinoise est presque au centre exact de l’anse, dit-il avec un geste circulaire vers la droite.
— Les objets remontent tous au moins au treizième siècle ? demanda Pitt.
— Tout semble converger vers cette hypothèse, répondit Summer. Les pièces de céramique retrouvées datent de la fin de la dynastie Son au début de la dynastie Yuan. Les échantillons de bois se sont avérés être de l’orme et datent d’environ 1280. Le célèbre chantier naval chinois de Longjiang utilisait de l’orme parmi d’autres bois pour construire les navires, ce qui est un autre indice.
— Les données géologiques vont dans le même sens, dit Dirk. Comme l’épave avait été recouverte par une coulée de lave, nous avons fait des recherches sur l’historique des éruptions sur Big Island. Bien que Kilauea soit le volcan le plus connu et le plus actif, Hualalai et Mauna Loa ont aussi un passé récent d’activité. Le plus proche de là où nous nous trouvons, Mauna Loa, est entré trente-six fois en éruption au cours des cent cinquante dernières années. Il y a eu un nombre indéterminé de coulées de lave dans les siècles précédents. Les géologues de l’île ont pu effectuer la datation au carbone des échantillons de charbon retrouvés sous la coulée de lave. L’étude d’un échantillon de lave, dans la baie voisine de Pohue, donne un âge de plus de huit cents ans. Nous ne savons pas avec certitude si les coulées de lave qui ont envahi l’anse et recouvert notre navire faisaient partie de la même éruption, mais mon petit doigt me dit que oui. Si c’est le cas, notre navire serait arrivé ici avant l’an 1300.
— Est-ce que cela concorde avec ta peau de guépard ? demanda Summer.
— Elle est impossible à dater, mais le voyage qui y est dépeint présente d’intéressantes similitudes, répondit Pitt. Le vaisseau de tête est une jonque immense à quatre mâts, qui semble correspondre à la taille de votre épave, si on se fie au gouvernail retrouvé par Dirk et Jack. Malheureusement, aucun récit n’accompagnait les images. Seuls quelques mots déchiffrables apparaissent sur la peau et que l’on peut traduire par un long voyage vers le paradis.
Pitt s’assit et étudia encore une fois les dessins en deux dimensions sur la peau de l’animal. La série représentait clairement une jonque à quatre mâts naviguant en compagnie de deux navires de soutien plus petits. Plusieurs panneaux dépeignaient un long voyage sur l’océan au terme duquel les navires arrivaient sur un petit archipel. Bien que positionnées de façon rudimentaire, les îles étaient disposées de la même façon que les plus grosses des huit îles d’Hawaï. La grande jonque accostait sur la plus grande île, après avoir jeté l’ancre près d’une grotte à la base d’une haute falaise. Du feu et de la fumée enveloppaient le navire et le paysage environnant. Pitt étudia un drapeau en flammes sur un mât avec un vif intérêt.
— L’éruption volcanique correspondrait à merveille, dit-il. Les flammes du dessin ressemblent à un feu de broussailles, mais c’est ça le secret. Ce n’était pas du tout un incendie, mais une éruption volcanique.
— Ces caisses, intervint Summer. Elles doivent contenir un genre de trésor ou d’objets de valeur. Tong, ou Borjin, puisque tu dis que c’est son vrai nom, savait quelque chose sur la cargaison du navire. C’est pour cela qu’ils ont essayé de faire sauter le champ de lave avec un tremblement de terre artificiel.
— Tel est pris qui croyait prendre, dit Dirk. Le trésor, ou quoi que ce soit d’autre, n’était même pas à bord du navire. Si le dessin est exact, le chargement avait été conduit à terre et détruit par l’éruption volcanique.
— Détruit, vraiment ? demanda Pitt avec un sourire roublard.
— Comment aurait-il pu survivre à la coulée de lave ? demanda Summer.
Elle se saisit d’une loupe pour étudier le dernier dessin. Ses sourcils se froncèrent à peine lorsqu’elle scruta les caisses entourées par la roche noire. L’image ne montrait aucune flamme sur les caisses ni autour.
— Elles ne sont pas en flammes sur le dessin. Tu penses vraiment qu’elles peuvent avoir survécu ?
— Je dirais que ça vaut la peine de jeter un coup d’œil. Si on plongeait, histoire d’en avoir le cœur net ?
— Mais si tout est enfoui sous la lave ? protesta Dirk.
— Faites un peu confiance à votre vieux père, dit Pitt en souriant, avant de disparaître au bout de la passerelle.
Très sceptiques, Dirk et Summer le suivirent à l’arrière du navire et préparèrent trois tenues de plongée. Une fois montés à bord d’un Zodiac, ils furent mis à l’eau par Jack Dahlgren.
— Je prépare une tequila pour la première personne qui me ramène un vase Ming, lança-t-il pour plaisanter en larguant les amarres de l’annexe.
— N’oublie pas le sel et le citron vert ! s’écria Sum-mer.
Pitt dirigea le Zodiac vers la rive, en direction du bord de la crique et il coupa le moteur à quelques mètres de la ligne de déferlement des vagues. Dirk jeta une ancre par-dessus bord pour maintenir leur position, puis ils enfilèrent tous trois leur équipement de plongée.
— Nous allons nager parallèlement à la rive, aussi proches que possible de la ligne de déferlement des vagues, leur enjoignit Pitt. Méfiez-vous des rouleaux.
— Et qu’est-ce qu’on cherche exactement ? demanda Dirk.
— Un escalier pour le paradis.
Son père sourit mystérieusement, puis rabattit son masque sur son visage. Assis sur le bord du bateau, il pirouetta en arrière et disparut sous une petite vague. Dirk et Summer ajustèrent rapidement leur masque et régulateur, puis le suivirent.
Ils se retrouvèrent au fond, moins de six mètres plus bas, dans une eau sombre et turbulente. La houle qui déferlait emplissait l’eau d’écume et de vase, réduisant la visibilité à un ou deux mètres. Summer vit son père lui faire un signe de tête et se diriger dans l’eau trouble. Elle le suivit rapidement, sachant que son frère fermerait la marche.
Le fond était un lit de lave noire noueuse qui s’élevait en pente raide sur sa gauche. Même sous l’eau, elle était poussée violemment sur le côté par les vagues et devait fréquemment se retourner vers le large et palmer fortement pour éviter d’être précipitée sur un mur de lave.
Elle suivit les palmes et le sillage de bulles de son père pendant vingt minutes avant qu’il disparaisse complètement dans les eaux sombres devant elle. Elle supposa qu’ils devaient se trouver à peu près au milieu de l’anse. Elle décida de nager encore dix minutes, puis de faire surface pour voir exactement où elle était.
Suivant la ligne de houle, elle se sentit happée vers une montagne de lave par une grosse vague. Elle se retourna pour battre des pieds, mais fut surprise par une deuxième vague, plus puissante, qui la poussa avec force vers le rivage. La vague la domina bientôt et elle s’écrasa dans la paroi, raclant sa bouteille d’oxygène sur la roche.
Elle n’avait pas été blessée et resta collée à la paroi jusqu’à ce que la vague se soit complètement retirée. Elle s’apprêtait à s’éloigner lorsqu’elle remarqua une tache noire dans les rochers au-dessus de sa tête. En se rapprochant, elle aperçut un goulet noir qui montait légèrement vers le haut et vers la rive. Dans l’eau troublée, elle n’aurait pas su déterminer s’il s’agissait juste d’un trou dans les rochers, alors elle sortit sa lampe torche et regarda à l’intérieur. Le faisceau se perdit dans l’eau, sans buter sur aucune paroi. L’ouverture s’étendait clairement sur une certaine profondeur.
Son cœur faillit s’arrêter lorsqu’elle se rendit compte que c’était ce que son père cherchait. Elle s’agrippa près de l’ouverture alors que passait une autre grosse vague, puis elle cogna sa lampe torche contre sa bouteille. Le bruit métallique se répercuta dans l’eau.
Presque aussitôt, Dirk apparut et dévisagea Summer avec curiosité, puis il observa avec surprise la grotte qu’elle lui montrait.
Son père apparut un instant plus tard et tapa avec espièglerie sur l’épaule de Summer après avoir découvert le tunnel. Il alluma sa lampe et s’enfonça dans le goulet, suivi par ses enfants.
Pitt avait immédiatement reconnu un tube de lave. Ses murs cylindriques étaient presque parfaitement formés, arrondis et lisses comme s’ils avaient été construits par une machine. En réalité, ce passage résultait d’une coulée de lave régulière qui avait refroidi à la surface en formant une croûte extérieure. Le liquide au centre avait fini par s’écouler, laissant un tube creux. On a découvert des tubes de lave de quinze mètres de large et plusieurs kilomètres de long. Celui de Summer était relativement petit, environ deux mètres de large.
Pitt suivit le tube sur une dizaine de mètres, remarquant sur son profondimètre qu’il remontait légèrement. Soudain, le tube s’évasa et il remarqua un reflet de sa lampe torche, juste avant que sa tête ne crève la surface d’un petit bassin d’eau calme. Flottant à la surface, il balaya la lampe autour de lui. Des murs de lave tombaient verticalement dans l’eau sur trois côtés. Le quatrième, cependant, s’ouvrait sur un large replat rocheux. Pitt battit lentement des pieds vers cet endroit, tandis que Dirk et Summer le rejoignaient. Ils nagèrent tous vers les rochers et sortirent de l’eau avant de pouvoir cracher leur régulateur et parler.
— C’est fantastique ! fit Summer. Une grotte souterraine alimentée par un tube de lave. Elle manque juste un peu d’air conditionné.
L’air de la grotte était humide et moisi et Summer hésita à remettre sa bouteille et son régulateur.
— La grotte a sans doute été plus profonde à une époque, mais elle s’est trouvée emprisonnée sous les coulées de lave qui ont dévalé le flanc de la montagne, dit Pitt. C’est un coup de chance que le tube de lave se soit formé à l’entrée.
Dirk se débarrassa de sa ceinture de plomb et de sa bouteille, puis il promena le faisceau de sa lampe dans la grotte. Quelque chose attira son regard dans les rochers.
— Summer ! Derrière toi !
Elle se retourna et eut le souffle coupé à la vue d’un homme à quelques mètres. Elle étouffa un cri en se rendant compte que ce n’était qu’une statue.
— Un guerrier en argile ? fit Dirk.
Summer alluma sa lampe et remarqua une autre statue toute proche. Toutes deux étaient grandeur nature, avec des uniformes peints et des épées sculptées. Summer s’approcha pour examiner la finesse du travail. Il s’agissait de soldats, qui avaient les cheveux tressés et une moustache effilée sous des yeux en amande.
— L’armée de terre cuite de l’empereur Qin à Xian ? dit Pitt. Ou peut-être un fac-similé du treizième siècle ?
Summer regarda son père, intriguée.
— Du treizième siècle ? Qu’est-ce qu’ils font là ?
Pitt s’approcha des statues et remarqua un petit chemin entre les deux qui passait dans la lave.
— Je crois qu’ils nous guident vers la réponse, dit-il.
Passant entre les deux statues d’argile, il suivit le chemin, Summer et Dirk sur ses talons. La piste serpentait entre plusieurs parois de lave, puis débouchait sur une grande salle voûtée.
Pitt et ses enfants restèrent sur le seuil, promenant leur lampe, bouche bée d’admiration. L’immense salle était remplie d’une armée de statues d’argile flanquant les murs. Chacune portait un lourd collier d’or ou une amulette faite de pierres précieuses. À l’intérieur du cercle des soldats se trouvait un autre cercle de sculptures, d’animaux pour la plupart. Certaines étaient sculptées dans le jade ou la pierre, d’autres dorées à l’or fin. Les cerfs s’élançaient sans crainte au milieu des grands faucons. Un couple de juments blanches qui caracolaient était exposé au milieu de la salle.
Parmi les sculptures, se trouvaient des dizaines de petits coffres et de tables couverts de poussière. Sur une grande table en teck, Summer remarqua le couvert mis de façon élaborée. Les assiettes, couverts et gobelets posés sur un tapis de soie étaient tous dorés. À côté de la table se trouvait un assortiment d’ornements d’argent et d’or, certains gravés de lettres arabes et d’autres de caractères chinois. D’autres tables portaient des miroirs, des boîtes et des objets d’art incrustés de joyaux. Summer s’approcha d’un coffre couvert de scènes de batailles peintes de couleurs vives et ouvrit un tiroir.
À l’intérieur, des plateaux d’ambre, de saphirs et de rubis remplissaient l’écrin doublé de soie.
Les sculptures et les joyaux n’intéressaient pas Pitt. Il regarda au-delà des objets, vers la pièce centrale de la grande salle. Sur une plate-forme en pierre surélevée, au milieu de la pièce, se trouvait une longue boîte en bois. Elle était peinte en jaune vif et sculptée de bas-reliefs. Pitt s’approcha et passa sa lampe au-dessus de la boîte. Un guépard empaillé, montrant les dents et les griffes, semblait regarder Pitt en rugissant. Il abaissa sa lampe vers le dessus de la surface et sourit en voyant l’image. Un loup solitaire, peint en bleu, y était représenté.
— Puis-je vous présenter le défunt empereur de l’empire Yuan, Koubilaï Khan, fit-il.
— Koubilaï Khan, murmura Summer, impressionnée. C’est impossible.
— Je croyais qu’il était enterré quelque part à côté de Gengis, dit Dirk.
— D’après la légende. Mais cela ne collait pas. Borjin avait localisé la tombe de Gengis Khan grâce à son appareil, mais pas celle de Koubilaï. Ils auraient dû être enterrés non loin l’un de l’autre. Ensuite, votre Dr Tong est apparu ici, repoussant sa mission sur l’oléoduc trans-Alaska juste pour regarder une vieille épave ? Il y avait manifestement une motivation importante, quelque chose que seuls les Borjin pouvaient apprécier. Je suppose qu’ils avaient découvert un tombeau vide pour Koubilaï en Mongolie, ou trouvé un indice indiquant qu’il était enterré ailleurs.
— Je ne vois toujours pas comment cela nous mène ici, dit Summer.
— C’est la peau de guépard. Elle a été découverte à Shangdu, donc elle avait un lien avec Koubilaï. L’empereur était connu pour avoir des guépards dressés pour l’accompagner à la chasse, donc cette peau vient peut-être de l’un de ses animaux de compagnie. Surtout, la peau de guépard avait été découverte en compagnie d’un rouleau de soie censé indiquer le lieu de la sépulture de Gengis Khan. Le père de Borjin s’est emparé de la carte et Borjin lui-même a admis qu’elle l’avait aidé à trouver le lieu. Pour une raison que j’ignore, la signification de la peau de guépard a été négligée lors de sa découverte. Le loup bleu m’a mis sur la voie.
— Quel loup bleu ? demanda Summer.
— Un motif récurrent, dit-il en montrant l’image peinte sur le cercueil en bois. C’était un emblème connu des khans, remontant à l’époque de Gengis. Si on regarde de près la peau de guépard, on voit une bannière représentant un loup bleu sur le mât de la jonque en flammes dans la dernière case. On ne l’utilisait qu’en présence d’un khan. Votre épave, qui correspond à la peinture sur la peau de guépard d’un vaisseau royal ayant quitté la Chine, a été datée à cinquante ans après la mort de Gengis. C’est trop tard pour qu’il soit parti en croisière. Non, les dates concordent avec le règne de Koubilaï. Et sa mort. Le secret de la peau de guépard est qu’elle dépeint le dernier voyage de Koubilaï Khan.
— Mais pourquoi a-t-il été amené à Hawaï ? demanda Summer en promenant sa lampe sur toute la longueur du sarcophage.
Elle éclaira un instant un bâton noueux appuyé contre une extrémité de la tombe. Elle nota, intriguée, qu’un collier de dents de requins pendait de sa poignée usée.
— Ses dernières années ont été difficiles. Peut-être son « voyage vers le Paradis » était-il un plan pour passer l’éternité sur des rives lointaines ?
— Papa, comment savais-tu que ce tombeau avait survécu à l’éruption volcanique et que nous pourrions le retrouver ?
— Celui qui a peint la peau de guépard avait vu le tombeau et les trésors et savait qu’ils avaient survécu, sinon il les aurait dépeints en flammes également. J’ai fait un pari sur l’entrée. Le niveau de la mer est plus haut qu’il y a huit cents ans, donc j’ai supposé qu’elle pouvait désormais se trouver sous l’eau.
— Ces trésors doivent représenter les richesses accumulées pendant toute une vie de conquêtes, dit Dirk, ébahi par la quantité qui l’entourait. Peut-être certains datent-ils du règne de Gengis. Il doit y en avoir pour une immense fortune.
— Le peuple mongol a perdu le trésor de Gengis Khan. Ce ne serait que justice qu’il recouvre les richesses de Koubilaï Khan. Je suis sûr qu’ils trouveront aussi un lieu de sépulture plus approprié, sur Burkhan Khaldun, où Koubilaï pourra passer l’éternité.
Les merveilles du tombeau secret occupaient toutes leurs pensées et tous trois se mirent à murmurer en déambulant entre les trésors antiques. Illuminée par la seule lumière de leurs torches, la salle pleine d’ombres était emplie du mystère et de l’aura du Moyen Age. Comme les faisceaux de lumière jouaient sur les murs scintillants, Pitt se souvint du véritable Xanadu, et du poème obsédant de Samuel Coleridge.
— « L’ombre réfléchie par le dôme de plaisir/Flottait à mi-hauteur des vagues, récita-t-il à voix basse.
Y sonnait un mélange de mesures/Montant des grottes et de la source[2] ».
Summer s’approcha de son père et lui serra la main.
— Maman nous a toujours dit que tu étais un incurable romantique.
La lumière de leurs lampes commençait à baisser. Pitt et Summer se dirigèrent vers le passage d’entrée. Dirk les rejoignit tandis qu’ils jetaient un dernier regard vers la grotte.
— D’abord tu sauves le tombeau de Gengis. Maintenant, tu découvre Koubilaï Khan et les trésors de son empire, dit-il avec admiration. Tu resteras dans l’Histoire.
Summer hocha la tête.
— Papa, parfois, tu es tout simplement époustouflant.
Pitt ouvrit grand les bras pour enlacer affectueusement ses deux enfants.
— Non, répliqua-t-il avec un large sourire. Parfois, j’ai tout simplement de la chance.